Plusieurs architectes qui ont visité la chapelle Saint-Joseph ont attiré l'attention des responsables de l'Etablissement sur l'intérêt de cet édifice. En quoi, selon vous, est-il remarquable ?
La chapelle Saint-Joseph à Reims a été construite au XIXe siècle par l'architecte Edouard Lamy dans un style néogothique très en vogue à l'époque ("école" de Viollet-le-Duc).
Si l'on trouve en France plusieurs exemples de ce style architectural, la chapelle Saint-Joseph de Reims présente l'intérêt d'en constituer une illustration très cohérente et, surtout, significative par ses dimensions relativement importantes (flèche culminant à environ 60 mètres), ainsi que par l'aspect complet de son décor, notamment de son décor peint intérieur.
Cette chapelle a la particularité de posséder encore en place de nos jours la quasi-totalité de ses éléments d'origine (éléments architecturaux et de décor).
Les quelques manques ponctuels pouvaient ainsi être facilement complétés et/ou restitués, sur la base des éléments anciens encore en place ou récupérés.
C'est ainsi, par exemple, que le fleuron monumental couronnant le pignon sur la rue de Venise a été rétabli sur site avec les compléments indispensables recréés en pierre de taille selon les motifs d'origine.
De la même manière, l'épi monumental de la toiture du chœur, a été restitué sur la base des photographies d'archives récupérées.
Les travaux récents de dégagement et de restauration des décors peints, ainsi que la création de vitraux exceptionnels pour la quasi-totalité de l'édifice, célèbrent un mariage artistique heureux entre le XIXe siècle et le XXIe siècle.
Vous êtes intervenu sur la cathédrale de Nevers, le palais des Ducs à Dijon, un domaine rural en Auvergne, des appartements classés, etc. Comparé à ces travaux antérieurs, le chantier de la chapelle Saint-Joseph a-t-il présenté des spécificités?
De fait, si la méthodologie et la rigueur sont des constantes, chaque nouveau chantier est toujours différent des précédents.
- Premièrement, par son financement, assuré à plus de 90% par des dons (environ 4 millions d'euros): si ce type de montant est courant pour des "grosses machines" comme le château de Versailles, il est exceptionnel pour un tel édifice.
- Enfin, par le résultat exceptionnel obtenu par la juxtaposition des décors peints intérieurs d'origine (restaurés en quasi totalité) avec les nouveaux vitraux: deux réalisations très graphiques et très colorées, mais répétitives et symétriques pour les peintures du XIXe siècle, et d'une expression plus merveilleuse pour les vitraux de Jean-Paul Agosti.
Deux autres spécificités caractérisent également cette opération:
- une Maîtrise d'Ouvrage bicéphale (ARIES et direction de l'établissement Saint-Joseph);
- l'absence de toute protection au titre des Monuments Historiques de la chapelle; cette singularité a facilité la réalisation des vitraux extraordinaires de Jean-Paul Agosti.
Comme toute entreprise nouvelle, ce chantier a dû vous réserver son lot de mauvaises surprises et d'heureuses découvertes. Pouvez-vous nous donner quelques exemples des unes et des autres ?
Une des raisons pour lesquelles on missionne un architecte est précisément de mettre le Maître d'Ouvrage (et l'édifice) à l'abri des mauvaises surprises (les bonnes surprises étant toujours le bienvenu). Ceci étant, il est en effet possible, malgré les précautions prises, de faire des découvertes contrariantes.
Pour ce chantier, les déconvenues ont été heureusement limitées:
- concernant la restauration de la flèche, la découverte de deux poteaux brisés était anticipée, en termes de cube de bois;
- concernant les indispensables travaux préparatoires préalables à la pose des nouveaux vitraux, les réseaux des baies se sont révélés être dans un état catastrophique; le travail de restauration en pierre de taille a été bien plus important que supposé, malgré le retour d'expérience acquis sur la grande baie sur rue de Venise;
- concernant les décors, une campagne de sondages et de tests de nettoyage, destinés à affiner le protocole d'intervention, a permis d'ajuster les temps de restauration; malgré tout, des zones lacunaires ou repeintes ont été découvertes sous l'épaisse couche de crasse des voûtes, notamment.
Dans l'ensemble, cette opération n'a présenté selon moi aucune véritable mauvaise surprise, même si les temps de fabrication (extrêmement complexe) des vitraux se sont avérés plus importants que ce que supposait le Maître-verrier.
Pour les bonnes surprises, je retiens trois points majeurs:
- la découverte des photographies d'archives de l'ancien épi monumental qui ornait auparavant le toit du chœur: ces précieux clichés ont permis de restituer l'ange musicien qui a aujourd'hui retrouvé sa place sur le bâtiment;
- la récupération d'un élément important du fleuron monumental sculpté, qui ornait autrefois le pignon sur rue de Venise; cet élément, qui servait de façon très pragmatique de table basse pour une salle de l'établissement, a été réintégré, complété des parties sculptées manquantes et remis en place sur le pignon;
- la découverte de l'état général de conservation des anciens décors peints, sous les repeints malheureux de la fin du XXe siècle, ces décors peints d'origine ayant pu être sauvés.
Evidemment, rien de tout ceci ne serait devenu ce qu'il est devenu sans le niveau de compétence et l'engagement des entreprises retenues pour ce chantier, et sans l'implication très forte de la Maîtrise d'Ouvrage.
Entre le rêve et la réalité, le fossé est parfois profond... Entre les desseins et dessins de l'architecte et la réalisation par les corps de métier, il peut en aller de même. Le résultat final correspond-il à ce que vous visiez en prenant le direction de ce chantier ?
Au commencement, ce chantier ne concernait strictement que la mise en sécurité et la restauration de la flèche chancelante, pour des raisons évidentes de sécurité, avec, en option, la réfection de la couverture de la chapelle.
La restauration du pignon sur rue de Venise n'était pas à l'ordre du jour, la création de vitraux relevait du rêve, et personne n'envisageait ni ne parlait de restaurer les décors.
Dans ce contexte, il est clair que le résultat final dépasse tout ce qui était annoncé, tant pour moi-même que pour l'ensemble des intervenants.
En effet, personne n'imaginait un tel succès dans l'appel aux dons, lesquels ont permis d'étendre le programme de travaux à quasiment l'ensemble de la chapelle, contrairement à la seule opération de mise en sécurité et de mise hors d'eau prévues initialement.
La décision de restaurer les décors peints, associée à la réalisation des vitraux, dépasse évidemment tout ce qui était imaginable, tant le résultat interpelle par sa beauté singulière.
Sur le plan technique, la restitution de l'aspect aquarellé des maquettes d'origine de Jean-Paul Agosti, est un tour de force du Maître-verrier, l'Atelier Simon-Marq.
Ce chantier est donc un moment totalement exceptionnel de ma carrière.
La restauration de la chapelle a inclus la création de nouveaux vitraux. L'introduction d'œuvres résolument modernes dans un édifice ancien était un des défis de l'entreprise. Quel est le point de vue de l'architecte sur cette réalisation ? Selon vous, la « greffe » a-t-elle été réussie et pourquoi ?
J'ai personnellement présenté Jean-Paul Agosti au Maître d'Ouvrage, et je l'ai invité à prendre des risques en présentant un travail non rémunéré et non garanti.
Le fait que ce programme iconographique complet ait par la suite été retenu par un jury faisant autorité, a été à la fois un soulagement et une grande joie.
Les vitraux aujourd'hui réalisés font l'unanimité en termes de réussite.
Cela tient au fait, selon moi, que cette œuvre possède différents degrés de lectures, des plus simples aux plus complexes: les couleurs et le graphisme sont d'une élégance qui parlent à tous (et qui font cruellement défaut dans l'art contemporain), tandis qu'une symbolique religieuse et artistique apparaissent à l'observation plus minutieuse.
C'est pour ces raisons que l'introduction d'une œuvre contemporaine dans ce bâtiment du XIXe siècle est réussie. Les vitraux réalisés sont qualitativement à la hauteur de la qualité architecturale de la construction dans la quelle ils s'insèrent. Les vitraux, comme la chapelle, ont été réalisés d'un seul jet, par une seule personne, avec la même générosité et le même niveau d'exigence.
Paris, le 20 novembre 2014
Pierre WEILER